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Lacunes

Lacunes

On ne prend peut-être plus assez le temps de s’égarer dans la ville, d’y zoner plus par indécision qu’intention. S’il serait difficile de s’affranchir de son quadrillage tout tracé, en revanche il nous resterait l’espace de la mémoire où vont et viennent les objets et les pensées. Puisse tout cela s’échapper dans l’insignifiant espace de la vie ou y réapparaître ailleurs.

La suite se passe dans la peinture de Zoé de Soumagnat où figuration et abstraction glissent, l’une vers l’autre. C’est certainement emmené dans cet état de flottement si désiré que les sentiments et les formes énigmatiques qu’elle repère dans le quotidien s’assemblent et s’enclenchent par des vides. On suppose ainsi l’atelier comme lieu d’arrivée de la déambulation où les souvenirs flashent sur la toile des images mentales et délivrent une autonomie aux impressions de réel.

Les lacunes qui donnent leur nom à l’exposition incarneraient ces interruptions où il devient possible de s’aventurer. Pas de cotés délibérés sur la continuité, elles ne reposent pas tant sur un manque à combler qu’une brèche où engouffrer nos pensées. Et si dans le champ de la restauration d’œuvres elles pallient à une détérioration de la surface picturale, pour Zoé de Soumagnat pas question d’en recoller les morceaux, il s’agit de l’altérer. Cela supposerait de dissimuler et révéler l’apparition de l’image, jouer avec sa présence au moyen de la peinture. Après tout ce serait dans leur disparition que les choses se laissent le mieux saisir.

C’est là tout l’intérêt d’un registre pictural qui montre tout en escamotant la perception. L’arrière plan aux tons frottés, souvenirs de lumières urbaines, paraît suinter à travers la texture granuleuse du plâtre en transparence. De ces ambiances palpables, chaque composition « lacunaire » détourne les superpositions de couches successives vers des matières qui s’interfèrent et entrent en relation. Puis, c’est lorsque la surface se brouille, s’efface et arrondit les angles qu’apparaissent des signes que l’artiste collecte quotidiennement. Une idée de bottes, d’escaliers, puis des indices formels flottent dans un tout autre espace indéfini. Si chaque signe figure, leur perte d’information qui les raccrochait au sensible les attire dans un processus d’abstraction. Plus rien ne les relie ou justement c’est ce vide qui les anime, qui leur donne la possibilité d’être les résurgences contemporaines d’un environnement mental latent. Dans ce contexte halluciné, des présences rassurent la peinture, l’aident à dédramatiser. Des lampadaires fabriqués par l’artiste se tordent et divaguent. Infiltrés dans l’espace d’exposition ils accélèrent la nuit et tentent de nous leurrer sur la temporalité qui se déroule à l’extérieur.

On finirait par ne plus savoir si nous sommes là pour la peinture ou si c’est elle qui est là pour nous. Les souvenirs passent, signifient et s’abstraient en elle. Aux Bains-Douches, Zoé de Soumagnat fait état d’une poétique des lacunes, empreinte de formes de socialités, d’indices de sentiments autant que de réminiscences de peinture. Il n’y a plus qu’à se laisser embarquer dans une virée visuelle et mentale, bordée par le paysage urbain tout en sachant qu’il y a aura surement des manques.

Fiona Vilmer

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