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Emilie Pitoiset

Emilie Pitoiset

Émilie Pitoiset "Inemuri (present while sleeping)"

Dans son travail de sculpture, d’installation, de vidéo, et de pièces chorégraphiques, Emilie Pitoiset nous incite à penser les facteurs sociaux et économiques qui imprègnent le corps individuel et collectif. Portée par des formes de narrations instables propres à la comédie humaine, aux métafictions, à l’ironie et à l’absurde, sa pratique artistique produit des basculements entre documents, hors champs et fictions vénéneuses. En mettant délibérément en jeu une certaine illusion, ses pièces mettent à mal les limites de la perception et les attentes auxquelles le spectateur peut être confronté. Ses expositions précédentes Maniac (Klem’s, 2020), Tainted Love (Confort Moderne, 2017), ou The Vanishing Lady (Klem’s, 2016) posent une réflexion sur le corps en crise, lui même déstructuré, que l’artiste investit à travers les notions de mouvements d’épuisement, de transe et de chute, des changements d’état et des résistances qui opèrent. Si elle poursuit ses recherches liées à l’épuisement inhérent de la matière et du sujet, elle insère une dimension rituelle de l’objet, du travail et de l’entertainment dans une fatigue contemporaine mettant en tension la culture de la surabondance, les vêtements et gadgets culturellement limités et leurs symptômes possible d’aliénation.

À partir de différentes techniques de moulages et d’expérimentation de nouveaux matériau - résine, silicone, latex, métal -, Emilie Pitoiset prélève des formes à la fatigue devenue vecteur d’objets et d’accessoires, aussi bien associés au corps qu’à la consommation, dont l’usage, porteur de fantasmes, est destiné à améliorer du bien être physique et mental, tel que le sommeil sur le lieu de travail, ou le rituel quotidien du massage facial. En portant les marques de l’expérience humaine et des traces accumulées, ces sculptures évoquent à la fois leur devenir attractif et leur perte, captation collante du capitalisme. L’artiste leur donne une consistance flasque, une mollesse qui prolonge l’ambiguïté de ces objets déviés de leur contexte, dont le travail sur la matière permet d’interroger leur usage même, leur affaiblissement et d’envisager une chute, dégoulinante, puisqu’ils ne sont plus érectiles. En d’autres termes, ces objets s’insèrent dans l’optimisme anesthésié de l’économie du bien être, dont les effets gadgets touchent autant au mutant, au mignon et au sexuel, aliénés par une dimension rituelle qu’ils requiert, une utilisation répétée, compulsive ou une habitude. Emilie Pitoiset questionne dès lors la valeur des objets et le service qui leur ai demandé, à travers leur « promesse séduisante sur le gain de temps, la réduction du travail et l’expansion de la valeur » qui se rapproche du gimmick tel que théorisé par Sianne Ngai (Theory of the Gimmick. Aesthetic Judgement and Capitalist Form, Harvard University Press, 2020) et la panoplie de leurs fictions cosmétiques, tout en convoquant le hors champs, puisqu’aucun corps n’est présent.

* Texte écrit pour l’AIC - Drac Île-de-France