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Marie Losier

Marie Losier

Marie Losier, Rire et Dance, 2021 vidéo (2021), paillettes, miroirs et acrylique sur bois éd. 1/3 33,5 x 37 x 40cm. Courtesy : Galerie Anne Barrault

Marie Losier s’approche des gens qu’elle aime en se tenant derrière sa caméra, une Bolex 16mm investie comme l’extension de son oeil, grâce à laquelle elle pénètre des mondes, et en capture les éclats, les sublimités individuelles au fil d’années passées avec ceux.celles qu’elle filme. Dans son œuvre cinématographique, le documentaire côtoie le collage tactile de l’image et du son mais aussi des trucages, des déguisements bricolés, des spaghettis de l’imagination qui eux collent à la vie des personnages qu’elle filme. Elle capte des portraits de personnalités, souvent new yorkaises, peu et pas assez reconnues qu’elle rencontre: le groupe Arlt, les cinéastes Kuchar, la chanteuse performeuse Peaches, l’artiste Genesis P-Orrigde, la chanteuse April March, Tony Conrad et son film The Flicker, Alan Vega du groupe Suicide, entre autres, et qui deviennent les sujets de ses productions filmiques, s’inscrivant dans une réflexion entière sur le rapport aux autres. Le système de travail ou de « faire société » des sujets qu’elle film, devient la poussière d’étoile qu’elle saisit, sur des artistes hors circuits, de musicien.ne.s, performeur.euse.s, danseur.euse.s, acteur.ice.s, toujours lié.e.s à une performance de l’art mais aussi d’une approche plus touchante de l’âge qui passe, de l’amour des corps, parfois endommagées qui s’affirment, dans la légèreté et la profondeur qui constituent un sujet ouvert et récurrent dans sa pratique.

Depuis plusieurs années, son travail cinématographique s’étend et se déplace dans l’espace d’exposition, une extension qui se transforme en permanence, glissant dans et à côté de ses films -comme un rideau bleu, élément scénique s’il en est, qui vous scrute - tout en restant liée par les mêmes rencontres. Dans des monotypes peints à l’huile sur du papier de riz, ses ami.e.s sont toujours accompagné.es d’un objet choisi, aussi secret que chargé de sens. Les aquarelles sous forme de collages font apparaître des personnages tout en pieds, allongés, étendus, teintés comme délavés par la couleur, eux.elles aussi accompagné.e.s, d’un animal, d’un objet domestique, ou de deux yeux, peut-être les siens. Ces dessins sont remplis de délires introspectifs, de manifestations psychés et de projections romantiques, dans le sens où elle porte de l’amour à chacune de ces rencontres et de leurs représentations. Dans sa production de céramique, c’est sa caméra molle et ses pellicules, des pieds monstrueux comme des chaussons, des figurines qui semblent sortir de la matière pâteuse de l’imagination, qui dégoulinent de l’espace mental.

Dans cette extension de la relation au film qui se retrouve partout, la preuve de cette matérialité ne saurait être plus présente que dans ses ensembles de boîtes vidéos qui accueillent des boucles d’images en mouvements, prélevées à des rushs non utilisés de ses longs métrages - des outtakes - parfois directement pensées pour ces écrins. Ces boîtes, peintes ou habillées de tissus, de perruques, de mousse verte et de plumes, font écho, par les matériaux employés à chaque sujet filmé. Le réceptacle baroque fait hommage au début du cinématographe, en découle alors un objet filmique qui apparaît par ce dispositif sculptural dans un environnement restreint, à la physicalité encore un peu plus intime. Marie Losier y rend l’acte de visionnage d’autant plus intentionnel, en établissant pour chaque boîte son propre système, sa propre stratégie de visionnage. L’image ne peut être regardée qu’à travers des mécanismes enclins au voyeurisme: judas, peep show, optiques, filtres et escalier miniature, dissimulent ou révèlent le contenu de la boîte en fonction de notre déplacement et font entrer le regardeur, le sujet filmé et l’objet filmique en tension. Partout, Marie Losier approche la question du regard, l’observation des singularités où la vie réelle et celle parfois plus sirupeuse que l’on choisit de fantasmer se rejoignent.


* Texte écrit pour l’AIC - Drac Île-de-France