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A Bureaucratic Desire for Revenge

A Bureaucratic Desire for Revenge

Un titre: A Bureaucratic Desire For Revenge. Une collaboration et treize noms: Grichka Commaret, Claire Decet, Paul Desmazières, Kim Farkas, Samuel François, Hélène Garcia, Christophe Herreros, Irma Name, Yanis Pérez, Prioux & Peixoto, Clara Stengel, Palette Terre, Manuel Vieillot. Un lieu: le campus de HEC Paris, Jouy-en-Josas. Une date: 2018. 

Un édito de Ludovic Sauvage, commissaire du projet en résume l’histoire, donne quelques perspectives. A Bureaucratic Desire For Revenge serait le pressentiment d’une forme née de la confrontation entre des pratiques artistiques et les locaux d’une école destinée à la formation des futurs acteurs du commerce mondialisé. Des artistes et un campus. Hall, bureau, amphithéâtre, escaliers, gymnase, réfectoire, salles de classes et terrains de sports, établissent l’arrière-plan du projet. A chaque artiste de s’approprier cette constance du décor. Ou serait-ce l’espace du campus qui a fini par suggérer des formes possibles? Peu importe, en un sens, les lieux semblent dicter tacitement les règles d’un jeu particulier. On devine les gestes qui s’y déroulent, prémédités mais rapides. 

Puis une colonne de légendes comme indications minimales à laquelle il faudra revenir si l’on veut lier une image à un nom. La publication prend corps dans ces allers-retours. 

Des images pleines pages – à droite. Une prise de vue sous un angle spécifique, réalisée par Lionel Catelan archive chaque proposition, sans vis à vis. Si l’image décharge les gestes de leur matérialité, elle articule l’adéquation possible, entre contexte et formes. Elle inscrit sur le même plan vocabulaire plastique, fonctionnel et architectural. 

Un scan fourni par les artistes a posteriori double chacune de ces pages – à gauche. Imprimé en bichromie, le document amplifie l’archive à son verso. Mystérieux, parfois plus clair, le principe d’aller-retour informe sur la première image tout en générant à son tour une forme. 

Images, scans, allers-retours, une telle gymnastique tend à suggérer une superposition entre ce qui est perçu, contenu et produit. 

Puis la traversée des feuillets intérieurs se conclut sur des ultimes remerciements, loin d’être anecdotiques – l’Espace d’art contemporain HEC, grâce auquel le projet a pu exister, a en effet été dissous par la nouvelle direction peu après le début de celui-ci – renforçant la formule du titre d’une aura prémonitoire. 

Enfin la réapparition du texte. L’extrait d’Infinite Jest de David Foster Wallace, extrapolation planante [1], si ce n’est point de départ du projet, porte sur la comparaison entre deux héros séparés par l’époque. L’un dans l’action, proche d’un certain romantisme viril, le second dont la bureaucratie a intégré le moindre geste jusqu’à devenir le personnage principal de la série. Dans les deux cas une intrigue télévisuelle, truffée de codes où il semble être assumé que c’est de toute façon par l’image que l’on passera.

Le contexte particulier de l’école de commerce pourrait cristalliser problèmes moraux et économiques d’aujourd’hui. Pourtant plus que le produit d’une simple collision, les images qui défilent semblent faire remonter à la surface la texture du monde dans lequel elles s’insèrent. À la fois sérieux et mâtiné d’éclats d’absurdité. Entre la forme et le commentaire. 

Refermé, l’objet finit par s’inscrire dans le protocole qui l’a produit.  Sous la forme d’une publication journal, l’archive regagne l’aspect éphémère du projet. Son support véhicule un temps donné qui contrebalance la lourdeur présente dès le titre, celle administrative, celle de la procédure, celle d’un système. Il porte en lui sa propre obsolescence et s’en moque joyeusement.

Dernier aller-retour néanmoins, l’archive que l’on tient entre les mains, dispose d’un double numérique: le site abdfr.com désigné comme la publication par le studio Atelier Trois. Si bien que dans cette idée de faire document, on peut penser que l’un survivra à l’autre. 

Fiona Vilmer

  1. Infinite Jest, paru en 1996, traduit en français (par Francis Kerline) sous le titre L’Infinie Comédie et finalement publié en 2015. 1488 pages, édition L’Oliver (Seuil). Un parallèle plus global avec le roman pourrait se situer au niveau du campus, puisqu’une partie de l’histoire se déroule dans une académie de tennis.

* « Initié en 1999, l’Espace d’art contemporain HEC expérimente de nouvelles pratiques, encourage les confrontations et les rencontres inédites. Des artistes sont invités à livrer leur regard sur HEC, et plus largement sur le monde qui l’entoure. »