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other people's clothing

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other people’s clothing, l’exposition réunissant Kevin Desbouis, Pati Hill et Charlotte Houette a déjà eu lieu ailleurs (1). Recommencer l’exposition serait comme une manière d’apparaître, pas tout à fait de la même manière. Certaines pensées somnolent pendant que d’autres s’étirent. A mere effect of the sliding of the signifier (2) (Un simple effet de glissement du signifiant), ou ici de la perception.

Comment se saisir des attitudes de disparitions présentes dans les formes, ou plus exactement de ces processus de visibilité qui laissent surgir un flou d’où peuvent s’échapper de possibles fictions et autres tentatives pour s’éclipser? Peintures, sérigraphies et xérographies partagent des gestes d’appropriation, de déplacement ou de dissimulation, et évoquent –  par leurs répétitions dans l’espace – des changements d’états, psychiques ou presque susceptibles de vous tordre (littéralement). Certains sont plus ou moins dramatiques. Certains plus ou moins comiques. Séries, séquence, reproduction de motifs et techniques d’impressions laissent se deviner des attitudes liées à l’édition (3). Dans ces gestes d’aplatissements, la notion de version se répand à la surface des formes, mettant en scène des « tactiques » de subterfuge ou de trucage comme autant de régimes de visibilités présents ou délibérément absents. Un effet spécial anti-spectaculaire d’où peut émerger une distorsion du point de vue. 

Si, dans son traitement cinématographique toujours plus élaboré, l’effet spécial s’estompe dans l’image, le rendre perceptible reviendrait à créer une image qui n’en est pas moins spéciale. De celles qui vous attrapent et vous enchantent, et déclenchent des mécanismes de fiction et de désir, des logiques d’apparition - ou là encore, de dissimulation -, vous faisant passer d’une version de vous-même à une autre. D’une certaine manière, en étant sensible, l’effet spécial endosse un rôle propre à l’illusion en même temps qu’il la divulgue, « oscillant entre l’émerveillement et l’astuce »v(4).  Cependant, son attractivité aussi accessible semble alors trompeuse ou suspicieuse et induit une éventuelle mise à distance. Une sorte de gimmick, le rapprochant de ce que la théoricienne Sianne Ngai développe dans son ouvrage Theory of the Gimmick (5) pour définir un jugement esthétique et une forme capitaliste (6) dont la fascination et la méfiance entretiennent ce même glissement de jugement (7). Si, bien, dit-elle, que reconnaître le gimmick, c’est reconnaître son pouvoir d’illusion (auquel on peut être sensible) tout en rendant l’illusion transparente et la mettre à distance. Et si l’effet spécial est ainsi visible – comme la chute d’une blague que l’on aurait anticipée –,  est-il encore un effet spécial en dépit de son aspect « raté » ou tangible?

Dans les installations de Kevin Desbouis, l’intensité et l’indétermination opèrent dans la remise en circulation d’images, de mots ou d’objets. Il envisage le travail de l’art comme des situations non explicites ou au potentiel partiellement achevé pouvant recouvrir des aspects tant cinématographiques, qu’érotiques ou refoulés. La distance entre l’objet et le sujet y courtise une possible confusion, entre déception et séduction. Les panneaux proposés à la manière d’une séquence ou d’un script caché, laissent apparaître des instructions comme des motivation speech  ambigües. Il y a aussi les chiens qui font une publicité équivoque. Dans ce scénario, le comique semble se fondre dans l’exaspération, et les objets de contrainte nous apparaissent comme des visions à rayons X ou des promesses.

Au début des années 1970, après une pause de treize ans dans l’édition, Pati Hill commence à photocopier son environnement domestique. Objets comme vêtements sont enregistrés à échelle réelle par le copieur, ce qui leur confère une distanciation sans considération nostalgique. Les xérographies de Pati Hill évacuent la fascination au profit d’une profusion, et montrent l’attention critique qu’elle porte aux objets circonscrits qui l’entourent. La machine bureaucratique assignée au travail de secrétariat revêt dans l’œuvre de Pati Hill, une utilisation littérale, compulsive. Ses xérographies des années 1990 comportent de nombreuses et infimes variations. Leur abstraction relèverait de multiples passages successifs en machine pour chaque couleur, les inscrivant dans un travail laborieux. L’image leur rend leur fiction, leur magie et la machine leur incertitude. Elles sembleraient presque, par leur format intime, ironiser la peinture abstraite américaine.

Les peintures et les sérigraphies de Charlotte Houette fabriquent des espaces fantasmatiques, dans lesquels la déambulation a des effets déformants et étincelants. Les aberrations y sont doubles, autant chromatiques et que sur le motif, elles produisent des effets d’égarement, des véhicules psychologiques qui n’ont pas vocation à induire une sémantique des émotions. Ses pièces engendre des boucles spatiales qui trafiquent les régimes de visibilité, où les motifs de répètent et s’étirent, colorent un mouvement psychédélique et hallucinatoire mais où la peinture est tout sauf virtuelle. La construction des tableaux intègre des constructions prototypales, proche de la maquette et des mécanismes d’apparition et de camouflage du pop-up. Il y a dans le travail de Charlotte Houette une atmosphère tourbillonnante à l’effet saturé, comme si jamais tout à fait réveillé, une sensation de déréalisation guettait, nous affectant tout autant que l’espace où elles se trouvent.

other people’s clothing suit une question d’attitude dans laquelle les manières possibles d’être et de se repositionner dans le réel indiquent que quelque chose se passe toujours - et déjà - ailleurs (dans une pratique artistique, par exemple). L’effet spécial édite des formes où la peinture et l’imprimé se confondent dans leur rapport à la surface et à une apparente superficialité. Pourtant, ce sont plusieurs  couches d’un processus laborieux  qui façonnent des niveaux de profondeur inattendus. Les impressions rétiniennes déteignent, là où des associations de l’esprit, certaines plus érotiques ou énigmatiques s’engouffrent et deviennent nécessaires pour vous faire tomber à la renverse. Et, si vous vous laissez peut-être chuter, ces phénomènes d’absorptions peuvent créer des présences confuses, émerveillées.

Fiona Vilmer, Juin 2023

Remerciements à Sophie Vinet, Kevin Desbouis, Charlotte Houette, ainsi qu’à Baptiste Pinteaux, Nicole Huard, et Florence Bonnefous (Galerie Air de Paris) pour la présence de Pati Hill dans cette exposition.

(1) « other people’s clothing » a eu lieu au centre d’art Les Bains-Douches à Alençon en France du 11 mars au 24 avril 2022. Une proposition de Fiona Vilmer avec Kevin Desbouis, Pati Hill et Charlotte Houette. A Gr_und  (Berlin), vous vous trouvez dans la seconde occurrence de l’exposition.

(2) Morceau d’aphorisme emprunté à Jack Goldstein.

(3) Clin d’œil aux pratiques éditoriales de chacun des artistes de cette exposition. Kevin Desbouis édite le magazine Suckcess, livre d’artiste réunissant plusieurs contributeur·ice·s où il est question de compromission, de haine, de secret, d’effacement ou de mise en scène de soi… ;Pati Hill a publié plusieurs romans (dont One Thing I Know, 1962; réedité en chez Daisy Editions), recueils de poèmes (ou notamment Slave Days, 1975) et fabriqué ses propres livres où sont reliées ses xérographies; Charlotte Houette est à l’origine d’EEAPES avec Clara Pacotte, projet de recherches mené sur les écrits féministes de science-fiction, elles éditent des readers où sont publiés des écris inédits et des traductions de textes, elle a également publié et traduit avec After 8 Books « Faux Pas », un recueil d’écrits de la peintre Amy Sillman.

(4),«Toggling between wonder and trick, overvaluation and correction, the gimmick thus draws into sharper relief something about the workings of comedy, just as comedy reveals the gimmick as aesthetic form. »in « Theory of the Gimmick » in Critical Inquiry, Comedy, an Issue, edited by Lauren Berlant and Sianne Ngai, Volume 43, Number 2, Winter 2017. https://doi.org/10.1086/689672

(5) Sianne Ngai, Theory of the Gimmick. Aesthetic Judgement and Capitalist Form, Harvard University Press, 2020.

(6) Dans son livre Sianne Ngai théorise le gimmick comme étant un jugement esthétique et une forme capitaliste. Le gimmick est à la fois frustrant et attrayant, il est « lié à la perception d’un objet aux promesses peu crédibles de gain de temps, de réduction du travail et d’expansion de la valeur. » 

(7)« It is more precisely the transformation of idea into thing in a way that charms but also disturbs us » in « Theory of the Gimmick » in Critical Inquiry, Comedy, an Issue, edited by Lauren Berlant and Sianne Ngai, Volume 43, Number 2, Winter 2017. https://doi.org/10.1086/689672

 

 

 

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