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Anémochorie

Vue de l’expositon Anémochromie, photo Lucas Charier

La fleur coupée qui orne nos intérieurs, cristallise dans son image, les mythologies collectives anciennes du don, du romantisme et de l’amour. Cette symbolique semble marquer une persistance dans l’intimité urbaine — étroitement liée à l’idée d’une nature épanouie — tandis que son mode de production industriel en a fait un objet standardisé, dans la cadence d’un commerce mondialisé. La mécanisation, la marchandisation du vivant, ainsi que la division du travail, son aliénation et l’implantation d’entreprises sur d’anciens territoires coloniaux [1] sont autant de processus qui s’y appliquent et génèrent des paradoxes sémantiques qui participent à l’ imagerie contemporaine de la fleur. 

L’anémchorie décrit le processus de dispersion des graines par le vent, qu’Antonin Detemple transpose sous la forme d’une pollinisation de gestes. Il s’agit, par un déplacement de contexte, d’autoriser nos habitudes et constructions culturelles à vaciller. A partir de tableaux de natures mortes classiques, dont les critères spatiaux-temporels correspondent aux grandes explorations et à l’essor économique de l’Europe Occidentale, l’artiste a cherché à identifier chaque fleur représentée. Si les végétaux de ces bouquets s’avèrent impossible à identifier, ou souffrent d’un anachronisme de saisons, ces latences sont mises en évidence par des présences en verre. Sous la forme de « fantômes de fleurs », leur fonction s’apparente aux fantômes de livres présents dans les bibliothèques pour désigner l’ouvrage absent.  Le tableau, vecteur d’information, permet d’invoquer les spectres [2] de ces bouquets, pourtant différents génétiquement de leur modèle par leur appartenance même au circuit actuel de production industrielle.

Des indices de cette standardisation de la fleur coupée augmentent cette recherche. Une édition éponyme réalisée pour l’exposition, approfondie par le matériau de l’image les relations à la circulation du vivant dans le contexte de la mondialisation. À ses côtés, une planche graduée est posée contre un mur. Ce gabarit permettant de mesurer  les roses a été fabriqué par les ouvrier.e.s de la ferme horticole colombienne Milonga Flowers et a été cédé à l’artiste. Enfin, quatre parfums de roses distillés encerclent l’espace comme extraits de territoire.

L’exposition Anémochorie se fabrique au croisement de temporalités qui se chevauchent, d’espaces qui se superposent, écartant la notion d’histoire à sens unique. Déceler la dimension performative dans l’image de la fleur coupée revient à s’interroger sur ses effets dans le monde actuel. L’ambivalence en creux qui s’en dégage révèle la violence de l’exploitation du vivant contrastant les symboliques anciennes et la subtilité des émotions que suscite la fleur comme objet culturel. La réplique de cette image devient à son tour vecteur voire révélateur de ce qui appartient au champ de la séduction, à son usage ou à son système de croyances dans le temps. 

Fiona Vilmer

[1] Les lieux actuels de production des fleurs se trouvent majoritairement au Kenya, en Colombie, en Chine, en Inde, en Equateur.

[2] Jan Verwoert, “Living With Ghosts: From Appropriation to Invocation in Contemporary Art” in Vanessa Ohlraun (dir.), Tell Me What You Want, What You Really, Really Want, Berlin, Rotterdam, Sternberg Press, Piet Zwart institute, 2010, p. 127-148.

Photo : Lucas Charrier

Anémochorie

Vue de l’exposition, photo Lucas Charrier

Vue de l’expositon Anémochromie, photo Lucas Charier
Anémochorie

Vue de l’exposition, photo Lucas Charrier