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Noémie Bablet

Noémie Bablet

Les peintures de Noémie Bablet cherchent une rencontre. Le traitement pictural de ses pièces se base sur des combinaisons répétées et modulées de motifs de cercles (Credits), de fleurs (A Fair Affair, Tenue de Promesse, Soft Skills) ou plus récemment de noeuds, de points, de grilles de tartans ou de petites figures, peints sur du bois épais. Prélevés à sa propre production graphique, isolés et répétés, les motifs se dilatent, prennent leur place, jusqu’à devenir une image lisse reliée à un « fétichisme de surface »[1]. La palette déclinée selon un même nuancier est utilisée comme un principe d’animation évoquant l’évolution de la relation des motifs entre eux, malaxés par une technicité qui interroge la souplesse de l’image peinte.

Ses compositions se remplissent ou plutôt effectuent un cadrage sur des formes auxquelles il serait facile d’attribuer des adjectifs tels que « soigné », « naif », « charmant », « inoffensif », « clichés »[2] ou « mignon » [3]. Des motifs travaillés avec leur simplicité ou d’un aspect qui pourrait être qualifié d’enfantin, qui diffusent des affects empreints de sagesse, délibérément cute où se négocie une possible émancipation. Mais ce que ses peintures sollicitent par leur aspect doux, malléable et leur séduisante impuissance[4] habituellement attribué aux objets mignons, c’est un lien incarné dans une sécurité émotionnelle qui accompagne. Une sorte de réponse affective qui peut se révéler contradictoire lorsque le jugement et la langage s’adoucissent et convainquent par leur effet neutralisant que l’on a le dessus sur l’objet mignon sans qu’il nous contrôle. Cette évaluation pourtant plus ambivalente, fluctue entre « attraction et répulsion, tendresse et agression, compassion et mépris »[5], mais comment montrer qu’il s’agit de véritables objets désirables, autant conscients de leur attirance que remplie de sincérité dans leurs ambitions?

Dans son exposition personnelle Soft Skills à Wieoftnoch, les peintures de Noémie Bablet ont intégré le concept d’adaptabilité, comme une capacité à inverser les rôles, « en se mettant à la place de l’autre, au service de la relation afin de préserver par son comportement le bon fonctionnement de la relation »[6]. Si l’on prend l’exemple des fleurs (souvent en trio) qui s’anthropomorphisent d’une de peinture à l’autre, elles semblent décrire des interactions sociales, entre confort et sécurité, où le cute s’apparente à une stratégie de survie. Les peintures sont investis d’une mission qui vise à procurer un sentiment de légèreté et de sentiment tendres que l’artiste envisage comme des « amulettes face à l’hostilité »[7]. Ces fleurs sont parfois soutenues dans la composition par une grille ou un halo qui les rassemble, délimitant une bulle sécurisée, un espace construit et sous contrôle, ce qui renvoie à leur réalisation précise, technique et leurre une facture infaillible.

Malgré le maintien d’une apparence joyeuse ou d’une connotation positive, une cosmétique de la surface maquille par des aspects plus ou moins proche du cartoon, un optimisme possiblement cruel[8] où les positions morales et éthiques du « behave happily »[9] sont examinées et nuancées. L’apparente simplicité et la facture automatique des pièces de Noémie Bablet tendent vers la recherche de l’efficacité visuelle comme processus, et efface l’idée de labeur et d’effort, masquant les difficultés et l’impression manuelle pour que toute l’attention soit contenue dans une image directe, « a l’air impeccablement heureuse »[10]. Un contrôle performé contenu dans la peinture qui signale ce qu’elle exclut, comme « la menace d’un inconfort, ou d’un isolement.»[11]

[1] Propos issus d’échanges avec Noémie Bablet, juillet 2023

[2] « It is impossible not to be dealing with clichés when drawing flowers » - Ree Morton

[3] On parlera ici du mignon dans sa terminologie anglaise « cute » ayant été développé par plusieurs théoricien.ne.s notamment Sianne Ngai dans plusieurs textes et notamment son essai « The Cuteness of the Avant-Garde » in Our Aesthetic Categories, Harvard University Press, 2012.

[4] Sianne Ngai, « Introduction » in The Cute, MIT Press, 2022, p.14.

[5] Sianne Ngai, Op.Cit., p.15

[6] Propos issus d’échanges avec Noémie Bablet, juillet 2023

[7] Ibidem

[8] Voir à ce propos l’ouvrage de Lauren Berlant, A Cruel Optimism, Durham, NC: Duke University Press, 2017.

[9] Propos issus d’échanges avec Noémie Bablet, juillet 2023

[10] Ibidem

[11] Ibidem